La peau asséchée par le sel de la mer, Harus discernait au loin une portion de ciel assombrie qui n'augurait rien de bon. Il éprouva un certain respect en contournant l'île interdite aux récifs menaçants, entendant, très loin au large, le fracas des vagues grondant à son accore. Soudain, une bourrasque s'engouffra dans son aile, faisant basculer l'embarcation qui s'emplit d'eau. Rigoureux et entrainé, Harus délesta la barque à la hâte, à l'aide d'un seau, sans prendre le temps de baisser sa voile qui se déchira brusquement. Une tempête. Le navire pivota, jeté dans le tourbillon d'un vent mauvais. La mer du Monde de l'Ordre se fâchait, repoussant inlassablement Harus vers les brisants interdits. Gaia, pourquoi m'éprouves-tu ? se demandait l'apprenti. Près de la côte, il se dirigea à la gaffe, contrarié d'être aussi près du point tabou. Sous un ciel noir déchiré d'éclairs, la mer démontée et la force du vent le ramenaient, de façon déconcertante, exactement là où il ne devait pas se diriger. Son embarcation fut soulevée par des vagues terribles qui le rejetèrent contre la roche, d'où Harus tentait désespérément de se maintenir à distance, aidé de sa perche. Il pleuvait. L'adolescent, trempé, conserva son calme, sa force et sa concentration, mais il sentit l'émotion affleurer, car, au fond, il ne voyait pas d'issue favorable à sa dérive. À présent, tout était sombre autour de lui, il était seul à briller dans la nuit soudaine. C'est alors qu'il put voir le rivage inhospitalier où le conduisait inexorablement la nature déchainée. Il devait tenir : saisir son bâton, appuyer contre la roche et pousser. Il reculait avec peine, maintenu dans un mouvement latéral de balancier. Bientôt, Harus se sentit près de couler vers le fond, son bateau à moitié empli d'eau.
Soudain, vint le mauvais coup. Une vague plus haute que les autres, plus forte et plus bruyante. La vague de trop. Le jeune garçon eut tout juste le temps de jeter les amarres qui filèrent à la traine. À bout de forces, heureux d'être encore vivant, il laissa sa barque aller et s'effondra, épuisé. La zone dangereuse des vagues et du vent fut franchie. La mer vers la plage redevint normale. Harus, habité par une croyance ancestrale, s'émut. C'était un miracle.
Quand il s'éveilla, sa barque était échouée et le calme revenu. Nul doute qu'il se trouvait sur l'île prohibée. Harus était dans un état second. Outre un profond mal de crâne, le jeune homme sentait ses forces l'abandonner. Gaia ne veut pas que je sois là, finit-il par se convaincre. Toutes ses provisions trempées, il ferma les yeux et tenta un toucher télépathique. Rien n'y fit. Coincé dans une passe abritée de la haute mer, il devait rapidement trouver un refuge avant la tombée de la nuit. Qui savait quelles bêtes féroces peuplaient cet archipel ? Il les sentait toutes proches, curieuses et tapies dans l'ombre de la végétation. Malgré la fatigue, il admira en chemin le paysage luxuriant d'une terre inexplorée, son instinct d'aventurier le conduisant à cartographier mentalement ce qu'il voyait. À commencer par ces petits fruits bruns qu'il connaissait bien et qui l'aideraient à tromper la faim. Il tressa des feuilles qu'il emplit de provisions sucrées et ne tarda pas à trouver une cavité pour la nuit. Il entassa des herbes sèches pour y faire son nid. Avant de sombrer, profondément las, il tenta un nouveau contact en étirant ses yeux, assis sur sa couche. Rien. Il était trop fatigué pour se préoccuper du lendemain et s'endormit rapidement comme un bienheureux.
Un fil, accroché à ses longs doigts effilés, l'alerta du danger. Plusieurs petits coups secs l'éveillèrent en sursaut. Quelqu'un ou quelque chose tentait de retirer les branchages qui obturaient l'entrée de la grotte. Harus se redressa, donnant du mou au fil qui retenait le camouflage, quand la face hideuse d'une bête indigène surgit. Le naufragé poussa un cri d'horreur, recula dans sa cachette qui n'avait guère de profondeur et constata avec effroi qu'il n'avait pas d'arme sur lui. La bête, poilue sur le crâne, le regarda avec des yeux ronds, dans une posture ramassée. Elle entra dans la caverne, ressortit, puis poussa de petits cris qui la firent trembler de la tête aux pieds. Elle riait. L'animal était revêtu de tissu, fabriqué avec de la fibre végétale qu'Harus avait déjà pu observer dans des archives. La bestiole lui tendit une patte que l'on appelait « main ». N'obtenant rien de lui, la créature recula de nouveau, s'asseyant patiemment un peu plus loin, près d'un arbre. Elle l'attendait.
Harus n'avait encore jamais rencontré cette espèce qu'il croyait éteinte, la plus évoluée de la planète avant l'arrivée des Suriens. La première frayeur passée, sa curiosité l'emporta. Il réfléchit. Les frères de Gaia connaissaient la technologie, peut-être pourraient-ils l'aider à contacter les siens. Il examina le spécimen de loin. Le Gaien lui sourit. Ma foi, il n'était pas si laid en réalité. Enfin, le Surien se décida et sortit de son abri. Il se redressa de tous ses membres graciles, dépassant d'une tête le petit être rose. Tous deux s'observèrent, comme amusés. Ainsi, l'île interdite était un sanctuaire abritant les derniers membres d'une espèce disparue, les humains. L'homme tendit de nouveau sa main en signe de paix et cette fois, Harus la saisit avec précaution de ses doigts bleus translucides. Quand il plongea ses yeux dans ceux du fils de Gaia, celui-ci les détourna en se protégeant du bras, poussant un cri de douleur. Harus reçut une bouffée d'émotions négatives. Quelque chose de curieux, il avait également senti une résistance, comme un mur contre lequel son hyperperception aurait buté. Le petit homme avait-il développé ses capacités télépathiques ? Harus, qui connaissait les Dialogues avec Dazens, n'avait rien lu de tel. Il devait se montrer prudent pour ne pas abîmer son nouvel ami, peut-être le dernier du genre humain. Celui-ci lui fit un signe, s'avançant vers l'intérieur des terres. Harus le suivit.
C'est alors que nous avons vu débarquer ces satanées bestioles. Perso, je les avais jamais aimées et je m'en cachais pas. Il ne pouvait y avoir deux dominants sur Terre, c'était eux ou nous. Mais qui allait écouter un pauvre technicien comme moi, qui ne savais même pas écrire correctement le français, qui parlais fort et m'énervais à tout va ? Les autres, les soi-disant intellos, ne voyaient pas les choses de la même manière. Ils étaient naïfs.
Ce jour-là Eli, le père d'Harus, était tendu. Il s'était ramené en grande pompe récupérer son fils qui avait interdiction formelle de s'approcher de l'île. Ferdinand, le plus brillant d'entre nous, semblait amusé en regardant son ami, le grand Sage, interagir avec son fils. Ces Suriens avaient de curieuses façons de communiquer.
- Père, Gaia m'a conduit jusqu'à mes nouveaux amis. Je suis sorti vivant de l'antichambre des ténèbres, n'est-ce point la preuve d'un miracle ?
- Fils, c'est ton arrière-grand père qui a posé le tabou sur l'île afin de protéger nos hôtes, les derniers survivants d'une espèce disparue. Tu ne peux venir les observer comme tu observes les plantes.
Ferdinand, je l'aimais bien. Son esprit rayonnait dans tous les sens, il avait une capacité de travail considérable qu'il appliquait avec bonne humeur. On s'entendait bien, ou disons plutôt qu'il était le seul à pouvoir me supporter.
L'équipe au complet comptait cinq personnes. Il y avait Aymar, discret, consciencieux, chargé des archives. Narmada, notre secrétaire d'une lointaine origine indienne. Céline, qui ne servait pas à grand chose mais qui avait été assez maline pour se rendre indispensable. Ferdinand, le directeur du labo, et moi. Je m'appliquais notamment à poursuivre ma recherche médicale, aidais au jardinage comme aux menus travaux. L'île au complet devait compter moins d'une centaine de familles de survivants.
Nous avions abandonné momentanément nos recherches pour un déjeuner improvisé. J'avais pris au piège un sanglier de belle taille, ayant repéré çà et là la terre retournée et des traces de pas dans la boue séchée. Dans le jardin, j'avais creusé un trou pour préparer le barbecue et y aurais bien enterré un ou deux Suriens au passage. Je dis ça mais jamais un Surien ne nous avait causé de problème. Remarquez, ça aurait été le pompon ! On était chez nous quand même. Ce jour-là, Dieu seul sait pourquoi, j'étais de bonne humeur. On posa sur la fosse une grille et sur la grille le sanglier, embroché. J'avais ma méthode, suffisait d'être patient. Le plus drôle dans l'histoire, c'est que ces extraterrestres étaient herbivores. Je me demandais bien pourquoi on s'obstinait à organiser un festin lorsqu'on les recevait. La tradition remontait à plus de cent ans, quand les Suriens étaient arrivés sur Terre et avaient rencontré nos ancêtres. Peut-être qu'à cette époque on s'ennuyait déjà un peu. Connaissant le goût de nos drôles d'invités, Ferdinand et Narmada avaient préparé en cuisine un plat végétarien, composé d'amanites des Césars, de girolles et de cèpes. On en raffolait tous ! Ces champignons poussaient à profusion et ne contenaient désormais plus de radiations. Nos hôtes en étaient friands bien qu'incapables de distinguer un cèpe d'une amanite tue-mouches. Le manque de curiosité de ces drôles de créatures, en tout cas pour le monde concret, m'épatait toujours. Ils étaient un peu gauches, ces Suriens. Sauf le petit, apparemment.
Humains et Suriens prirent place dans l'immense réfectoire, autrefois occupé par des cohortes d'étudiants venus du continent pour étudier. L'île était alors prestigieuse, offrant un cadre idéal à la jeunesse éprise de nature, d'escalade et de randonnée. Désormais, dans le labo, il ne restait plus que nous cinq. Nous continuions à élire notre directeur, donner des conférences et recruter les membres de l'équipe. Céline se serait bien vue directrice mais son incompétence notoire l'avait heureusement écartée du pouvoir. Elle semblait bien s'en accommoder du moment que Ferdinand lui foutait la paix. Si ça n'avait tenu qu'à moi, je lui aurais dit d'aller voir ailleurs. Ailleurs, mais où ? me demandait Ferdinand.
Nous recevions donc les Suriens dans les vestiges de l'ancienne université d'Ajaccio. Un immense espace au bord de mer, qui se déployait sur plusieurs hectares, avec un réfectoire, un campus, un stade, un gymnase et d'autres installations encore. À table, le vieux Sage esquissa une sorte de sourire sur son visage insondable. Il lorgnait vers la cuisine, indifférent à la délicieuse odeur de viande qui entrait du jardin. Comparé à son père, le petit Harus était agité et expressif. Il me plaisait bien. J'appréciais surtout sa taille, les autres étant des géants. Harus tentait de communiquer avec nous à l'aide de tout son corps, par gestes, par sons. Il essayait, par intermittence, de nous sonder, et nous avions fini par porter des lunettes de soleil. Un traducteur accroché à l'oreille nous permettait de comprendre et d'interpréter les émissions d'infrasons de ces foutus invités.
- Merci pour ce délicieux repas mes amis, c'est toujours un bonheur de vous rendre visite.
Le père venait de s'exprimer. Le vieux Surien était délicat, patient et poli. Il dut sentir ma nervosité car il hocha la tête vers moi et je me sentis immédiatement apaisé.
- Grand Sage, répondit Ferdinand l'air enjoué, nous sommes heureux de vous revoir et d'avoir fait la connaissance de votre fils. Harus est courageux et très curieux. S'il le souhaite, nous l'accueillerons avec nous. Compte tenu de sa taille, il pourra se faufiler dans nos installations. Je crains malheureusement que bientôt il s'y sente à l'étroit.
- Merci à vous, humains. Mais nous ne pouvons interférer dans votre développement. Vous nous avez sauvés en nous accueillant, nous devons rester discrets.
- Mais vous l'êtes ! s'exclama Céline. Cela fait combien de temps que nous ne nous sommes vus ? Sept... huit ans ? On ne peut pas dire que vous soyez gênants.
Cette gourdasse m'exaspérait. Elle se croyait plus intelligente que moi parce qu'elle aimait lire. De mon point de vue, elle était surtout formatée par le système tandis que j'avais préféré l'école de la vie à l'université. C'est au mérite, moi, que je devais mon ascension, me cultivant par gourmandise et non par obligation. Dans tous les cas, je ne voyais pas l'intérêt de connaître l'histoire des civilisations puisque c'était à cause d'elles qu'on en était arrivé là. Et là, cela signifiait plus de vie humaine sur Terre. Enfin, à part nous.
- Père, s'il vous plaît. Je voudrais tant rester.
- Voyez comme mon garçon a grandi ! lança le Sage avec fierté. Il ne m'obéit plus désormais.
Le Surien des Suriens posa sa main sur celle de l'enfant.
- Mon fils, dit-il, ces petits êtres fragiles ont une vie courte. Je te promets que tu reviendras vite.
Une vie courte, je me souviendrais toute ma vie de ces mots. Surtout au moment où, à cause d'eux, nous la risquerions contre notre gré.
Ferdinand eut l'autorisation de faire visiter le site au jeune Harus. Il lui montra en particulier le bunker, enfoui dans le sous-sol, qui avait sauvé la vie de nos ancêtres. Quand la catastrophe était survenue, ils avaient pu s'y réfugier et y rester tapis jusqu'à ce que les données sur la surface de la Terre fussent de nouveau rassurantes. Bien qu'excité par toutes ces découvertes, Harus se sentait toujours affaibli, presque nauséeux. Épuisé par ces péripéties, il regagna le vaisseau avec son père, en fin de journée, quittant l'île à regret pour rejoindre l'austérité du Monde de l'Ordre.
Harus fut convié au Conseil des Sages en tant qu'observateur. Les trois ordres y étaient représentés : politique, éthique et militaire. Le jeune Surien connaissait mieux que quiconque la faune et la flore du Monde de l'Ordre qu'il avait minutieusement répertoriées. Au centre d'une grande salle à la lumière bleutée, une empreinte graphique des cartes des trois mondes s'afficha dans un flottement gracieux. Le Monde de l'Ordre où régnait l'ordre éthique, rond, replié sur lui-même, ressemblait à un cerveau irrigué en son milieu par un nerf intérieur. Les intempéries l'avaient gagné depuis peu. L'ordre politique d'Ella régnait depuis plus longtemps sur un monde ravagé par les tornades qui menaçaient de rayer ses côtes de la carte. Il était symbolisé par deux losanges allongés. L'ordre militaire, enfin, s'était regroupé sur une terre ramassée, à peine un continent. Jamais le climat n'y avait été clément. Harus écoutait patiemment les échanges polis autour du plateau, sachant qu'un jour il pourrait y prendre part d'une manière plus active. Les bouleversements climatiques mettaient en danger ces trois mondes : des raz-de-marée, des pluies déferlantes, des ports antiques ensevelis. Harus en était un témoin de première main, c'était bien une méchante tempête qui l'avait lancé sur les récifs interdits. À ce rythme, plus rien ne pourrait subsister de cette planète providentielle. La cause des intempéries était bien connue de tous : le satellite de Gaia s'éloignait inéluctablement. Il fallait à présent passer à l'action. Devait-on ou pouvait-on le maintenir en orbite et comment ?
Divers projets défilèrent sous les yeux des convives. Le premier prévoyait une aile qui retiendrait la Lune en exerçant une force à contre-courant. Le second proposait d'activer un réacteur sur sa face cachée. Celui-ci exercerait à intervalles réguliers de petites poussées ramenant le satellite sur une trajectoire plus favorable. Enfin, la destruction pure et simple de l'objet céleste pouvait le transformer en une nuée de météorites en orbite autour de Gaia.
Eli, chargé de l'ordre éthique, choisit de s'exprimer de façon audible par tous.
- Des fils de Gaia vivent sur ce caillou. Nous ne pouvons le pulvériser.
- Oui grand Sage, répliqua le représentant de l'ordre militaire. Pour cette raison, nous proposons de les ramener sur leur sol originel.
Une ride perça sur le front d'ordinaire inexpressif du moraliste, soucieux des conséquences de chaque acte engagé par son espèce. Il se méfiait du jeune Saura dont les décisions efficaces ne s'embarrassaient guère de détails, surtout quand ces derniers n'engageaient pas la vie d'un Surien.
- Ton intention est bonne, Saura, finit par déclarer Eli. Mais nous ne pouvons intervenir sur le destin de ces êtres premiers.
- Je connais la loi de la préservation de la vie primordiale, grand Maître, et je la respecte. Nous devons conserver la diversité biologique de l'univers et de son écosystème. Mais ce sont toutes les espèces présentes sur notre sol qui sont aujourd'hui menacées. Faut-il vraiment ménager les petits hommes alors que Gaia est en danger ?
- Oui, mon ami. Il le faut, et cela tant que nous n'aurons pas épuisé toutes les solutions alternatives à l'ingérence.
La ride libérée du front d'Eli vint délicatement se poser sur celui de Saura.
- Bien, j'accueille ta décision. Nous agirons donc de manière furtive, sans être découverts par ces Luniens.
- Je t'en remercie Saura. Ces hommes vivent une vie paisible dans leur cité. Je n'aimerais pas que nous venions tout gâcher.
Eli était contrarié et soucieux. Saura semblait s'acharner sur les Terriens dès que l'occasion se présentait. Ce combat était épuisant. Que craignait-il de la part de ces humains inoffensifs ? Harus, un peu déboussolé, ne parvenait pas à se faire sa propre opinion. Il savait que, partout dans l'univers, il fallait respecter le patrimoine biologique des espèces, en favorisant son maintien dans son écosystème. C'est pourquoi le contact avec les espèces développées devait être limité à son strict minimum voire totalement évité. Mais les Luniens connaissaient l'existence des Suriens, ils les avaient même, par un pacte, autorisés à s'installer sur leur planète. Pourquoi, depuis tout ce temps, n'avaient-ils pas repris contact ? N'étaient-ils pas curieux de nature ? Cela l'intriguait. Ne brûlaient-ils pas d'envie de connaître une civilisation venue des confins du système solaire ?
La conférence terminée, Harus se rua dans son laboratoire pour exhumer les Dialogues avec Dazens. Ce témoignage de son aïeul devait contenir des éléments de réponse. Concentré, il activa des données et prit place au centre de la visualisation. Il exigea l'ouverture de sa coupole et usa d'une puissante lentille pour observer la Lune. On y voyait très nettement des habitations. Pourquoi, par tout le bras d'Orion, ne pas avoir tenté le moindre contact depuis près d'un siècle ? Lorsqu'Harus avait appris par cœur les Dialogues, il l'avait fait par dévotion pour son grand-père mais pas avec une sincère curiosité pour ces petits animaux intelligents. Aujourd'hui, il portait un autre regard sur cette rencontre. Il lui fallait relire ce texte attentivement. Que s'était-il passé ? Son grand-père s'était mis les deux ordres à dos en conversant avec l'ennemi. Ce Dazens n'était pas la brute primitive dont les Suriens parlaient tant. Il était fin, doué de raison et livrait sans résistance les mœurs et coutumes de son peuple. En opacifiant le dôme, Harus se concentra sur les données et capta des images d'époque : la cité lunienne, ses habitants. Selon les Dialogues, cette cité avait été construite à partir des plans d'une cité antique nommée Rome. Elle fut la capitale d'un monde aussi vaste que celui du Monde de l'Ordre. D'après ce qu'il voyait, la cité était encore très active. Outre les bâtiments, il pouvait distinguer des véhicules, à l'intérieur de la cité comme à l'extérieur. Il survola l'architecture de la ville, se glissa dans les ruelles, tournoya autour des places publiques, du monde y circulait. Harus souhaitait connaître davantage les fils de Gaia. Ils étaient agités et ne savaient pas se concentrer. Par cette impulsivité, ils demeuraient directs et transparents. Les Suriens, eux, étaient froids et sournois, n'éprouvant que très peu d'émotions. Il enviait la pureté humaine, son authenticité.